mardi 19 mai 2009

Portrait de Louis Butin devant la Corne d’Or, par Octave Madrigal

Les galeristes de la rue Edmond Rostand à Marseille m’ont toujours tenu en estime. Il est vrai que mes aïeuls flânaient déjà régulièrement ici pour acquérir les toiles trop peu célèbres d’artistes majeurs tels que Jacques Van den Bussche ou Emmanuel Coulange-Lautrec. D’aucuns disent que, petit garçon, lorsque j’accompagnais l’un ou l’autre en quête d’une nouvelle œuvre, l’on me faisait asseoir sur quelque fauteuil, un roman à main droite, un casse-croûte aux praires à main gauche, et qu’ainsi j’attendais sagement que le serrement de mains se fit.
Depuis, mes errances m’ont mené sur les terres parisiennes, et le voyage à Marseille est moins fréquent. Cependant, il est certaines circonstances qui m’engagent à descendre immanquablement ; parmi celles-là : un appel téléphonique venu de cette rue chère à mon cœur.
Lorsque, ce matin-même, la sonnerie retentit dans mes appartements, mon palpitant se souleva, annonçant une prédisposition au miracle. Mon interlocuteur galeriste me promit une surprise telle, que j’hélai quasi derechef un taxi et fonçai à son bord vers la Gare de Lyon.
Au seuil de l’après-midi, je remontais la rue depuis la station de métro Estrangin Préfecture à pas rapides. Je fus enfin à la porte de la galerie. Je sonnai.
Le galeriste ne pipa mot. Seul son index pointé en direction de l’arrière-boutique était éloquent.
Enfin, je le vis, et cette apparition avait tout du prodige qui conclut le spectacle de l’illusionniste, si ce n’est qu’ici, en ce lieu, nul escamotage ne me bernait ; Louis Butin, mon ami, mon compagnon de route et de bordée, croqué par un artiste dont j’appris par la suite le doux nom poétique posait, nonchalant, rosi par le soleil sur les rives de la Corne d’Or.
L’homme, je le savais, avait fait ses écoles sur les routes et s’était rendu aux Echelles du Levant ; parmi ces dernières, une avait sa préférence : Istanbul. De nombreuses fois, je l’ai entendu narrer ses promenades extravagues dans les ruelles constantinopolitaines, mais à ce portrait, il ne fit jamais allusion. Bien lui en prit, car sans cette sage omission, je n’eusse pu connaître un tel moment d’ébahissement et d’allégresse.
A tableau somptueux, ekphrasis ébaudie !
Cerclée d’un cadre tondo aiguisé d’escarboucles d’or et d’une courte marie-louise crème, la toile multipliait les variantes de bleu et de rouge.
Louis Butin, auréolé de son couvre-chef habituel, une chéchia stambouliote rouge, et vêtu à l’européenne, à l’instar de Pierre Loti dans le tableau d’Henri Rousseau, y portait, sous son nez altier, une moustache plus fournie qu’aujourd’hui. A sa bouche presque lippue pendait une pipe d’écume d’où s’échappaient des arabesques. Ses yeux bleus, étincelants de soleil, miraient la partie supérieure gauche du tableau, invitant ses contemplateurs à regarder dans la même direction que lui, celle d’Eyüp, quartier aux confins de la Corne d’Or dans lequel il s’était rendu en pèlerinage. La posture était digne d’un sultan.
Derrière lui : une maisonnette sommée des mots « Ayvansaray Iskelesi », toute peinte de blanc, la Corne et ses vaguelettes, quelques barques aux couleurs vives, et la rive opposée semée de bicoques et de petites mosquées. L’ensemble était délicieux.
Je payai comptant et emportai l’ovale empaqueté sous mon bras. Je repris un train et arrivai tard à Paris.
Tandis que le jour couche ses dernières lettres sur le papier du ciel, Louis Butin, accoudé dans son cadre d’or à ma bibliothèque regarde ondoyer les grands cyprès turcs dans le cimetière d’Eyüp.

1 commentaire:

Louis Butin a dit…

Mon ami c'est que vous fîtes peut-être une bêtise !
Car aussi somptueux que soient les parements, la composition et les pigments, la véritable valeur de la toile est au revers ! Je n'en puis dire plus ici, mais vous risquez de voir accourir tout ce que Stamboul compte de coquins !!! Hélas ! Mettez vous à l'abri !