mercredi 4 mars 2009

Le Samouraï Rusetô

Le samouraï Rusetô observait la longue plaine déroulée sous ses pieds comme une natte. L’aube épanchait ses premiers rayons de lumière ; la rosée gouttait sur les fleurs odorantes des nombreux paulownias. Il revint à l’homme le souvenir des bannières flanquées de l’emblème du clan Toyotomi, pour lequel il avait combattu lors de la bataille qui décida de l’avenir du pays : ces mêmes fleurs de paulownia qui, ce jour, exhalaient leur parfum dans l’air matinal, avaient été trente ans auparavant souillées du sang de milliers de soldats. Hideyori Toyotomi, fils du valeureux Hideyoshi Toyotomi et dernier héritier de la bannière aux trois fleurs en panicules, s’était suicidé dans les montagnes à l’aube d’un même matin, à l’âge de vingt-deux ans ; l’impérieux shogun Tokugawa l’avait poussé à la fuite. Hideyori Toyotomi avait été le seul maître de notre samouraï. A la mort du jeune homme, il était devenu rônin, confiant son temps au vagabondage, allant de ville en ville, affûtant ses techniques de combat. La vieillesse l’avait enfin pris sous ses ailes blanches, l’engageant à mépriser les combats au profit de la méditation. Pendant ses années d’errance sur l’île d’Honshu, le long de la rivière Shinano, du mont Kobushi à Niigata, il avait traversé mille épreuves, affronté plusieurs sabreurs, rônins comme lui, samouraïs arrogants ou bandits, dormi dans de nombreuses clairières. On le disait alors beau, et honnête quand il s’agissait de louer ses services.

Figurez-vous un homme de haute taille, robuste, dont la droiture de la tenue n’avait d’égale que celle de son âme. Ses cheveux, d’un noir de geai, étaient relevés et noués sur le haut de la tête. Le front dégagé laissait voir un visage d’une finesse féminine. Les yeux, à la teinte d’encre, regardaient avec franchise ; le nez, busqué et fier, chevillait une bouche aux lèvres minces, rehaussée d’une moustache clairsemée ; les oreilles, petites, ceignaient un profil délicat ; le cou, seul, témoignait d’une force remarquable : il était un tronc de hêtre, à l’écorce lisse et blanche, dont les racines se nouaient dans un buste vaste, aux épaules épaisses. Rusetô portait traditionnellement un jinbaori. Lorsqu’il combattait un adversaire, il pouvait manier deux sabres : ses longs doigts empoignaient la garde d’un katana ou celle d’un wakizashi. Cette dernière lame, plus courte et dont le maniement était plus souple, faisait la renommée de notre homme : il en usait avec une subtilité telle que ses adversaires s’étonnaient toujours, au moment de rendre leur dernier souffle, de se trouver traversé par elle. Au terme de son vagabondage, Rusetô avait vaincu à cent reprises.

Daisuke Monogatari, La retraite du samouraï Rusetô au sanctuaire d’Ise, 1857

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