dimanche 21 décembre 2008

Turtle-soup

Hier, Louis Butin et moi-même nous rencontrâmes et décidâmes de mettre à profit quelques minutes de notre précieux temps à l'écriture de deux récits. Ceux-ci devaient nécessairement commencer par la première phrase du Capitaine Pamphile d'Alexandre Dumas. Je vous invite à lire la mienne historiette, et à vous rendre fissa après ses derniers mots sur le blog de mon vénérable camarade pour y déguster son vocabulaire.




Je passais en 1830 devant la porte de Chevet lorsque j'aperçus dans la boutique un Anglais qui tournait et retournait en tous sens une tortue qu'il marchandait avec l'intention évidente d'en faire une "turtle-soup".

La neige tombait abondamment en ce jour, de sorte que les flocons parsemaient le sol et s'y liaient en un uniforme tapis seulement tranché par les roues des lourdes voitures et les sabots réguliers des chevaux. Engoncé dans mon large manteau, mon nez (qu'à l'époque je portais gros et qui se trouve aujourd'hui raccourci... J'en dirai plus sous peu...) - mon nez, disais-je, soigneusement caché sous une écharpe, je marchais sur les boulevards en quête des chaleurs de mes appartements que, la veille au soir, j'avais quittés (car nous étions le matin) pour me rendre dans l'un de ces tripots loin des délicatesses des quartiers mondains. L'incongruité de cet homme malaxant une tortue dans un décor de neige était telle que je me frottai les yeux pour confirmer que les effets de l'alcool n'étaient en rien cause de mirages. Cela pourrait paraître littéraire ou, du moins, à propos, mais j'ose dire que la neige redoubla au moment même où je traversai le boulevard pour me poster devant la vitrine de l'étrange boutique.

C'est ici que je peux dire comment je sus qu'il s'agissait d'un Anglais et compris que l'achat était la conséquence d'une critiquable envie de "turtle-soup" (le mot a été prononcé, j'en atteste !).

Le commerçant, rond, sale comme un grognard, avaient posé ses grosses mains gourdes sur ses hanches, et de sa bouche semblaient ne sortir que des monosyllabes : il était mécontent et, à n'en point douter, réclamait une somme de peu d'honnêteté. La tortue était chère ; il fallait payer un prix juste. A ces échanges, on ne pouvait envisager un terme heureux que pour le seul Anglais car c'était lui, ma foi !, qui tenait dans sa main blanche l'animal antédiluvien. Bien que cela fût inutile, je poussai la porte en vertu de cette sacro-sainte habitude qui, toujours, me pousse à me mêler des querelles d'autrui.

La boutique, chaude, était pleine des vapeurs odoriférantes d'un poële et de baquets où croupissaient des espèces de vivarium et aquarium. Toute la boutique était empuantie. J'y fus accueilli par le juron que voici : "Holy George !" - preuve irréfutable de l'origine outre-Manche de l'homme. "I need this turtle, ajouta-t-il, ma femme est pregnant... enceinte et elle m'assomme depuis que le soleil est levé : "Oh darling ! I want you to cook me a turtle-soup !" Vous comprenez ?!" Le commerçant n'en enleva pas plus ses mains de ses hanches. L'affaire ne se conclurait qu'avec dix pièces de plus : "Dix pièces ! baragouina-t-il." A peine eus-je le temps de trouver les mots à prononcer pour réconcilier ces deux énergumènes que les deux hommes en venaient aux mains, c'est-à-dire que l'un frappait avec ses rudes mains de rustre quand l'autre attaquait avec gants blancs et tortue à carapace. Je sortis rapidement, tombant presque, tant le sol, visqueux, était glissant. Dans cet élan, l'écharpe qui protégeait mon nez se défit ; mon nez s'en trouva nu.

Je me postai à nouveau devant la vitrine, assistant à l'empoignade comme à une farce, quand, soudain, le commerçant agrippa la tortue des mains de l'Anglais et, dans sa colère, la jeta furieusement contre la vitrine derrière laquelle j'étais. Celle-ci résonna et trembla tant que l'enseigne du marchand s'en décrocha. A mon grand regret, l'homme était bel et bien retraité grognard, et son enseigne un sabre de combat tel qu'on en trouve seulement dans les livres et sur les champs de bataille. J'en fus quitte pour le bout de mon nez...

1 commentaire:

Louis Butin a dit…

Mon ami, désolé de ne pas avoir publié mon récit qui n'égale pas le vôtre. En revanche, il m'a pris la fantaisie de publier Calopré, l'Ange d'amour, pour rigoler un brin et m'attirer tous les pervers du Net...